mercredi 24 juillet 2013

L’Infatigable comte de Lauraguais

L’illustre maison de Brancas, établie en Provence depuis le xive siècle, est originaire du royaume de Naples. Seules deux branches survivaient à la fin du xviiie siècle : la branche aînée, dite de Céreste et Forcalquier, et la branche cadette, dite de Villars et Lauraguais.



Célèbre par les services qu’il a rendus aux sciences comme à la littérature, par l’originalité piquante de son esprit – il fut, dans tous les temps, du parti de l’opposition – et par ses nombreuses aventures galantes, Louis-Léon-Félicité de Brancas, dit « le comte de Lauraguais », est né à Paris :

« Le 3 juillet 1733, a été baptisé Louis-Léon Félicité, né ce jour d’huy, fils de très haut et très puissant seigneur Monseigneur Louis de Brancas [1714-1773], duc de Lauraguais, Pair de France, et de très haute et très puissante dame Madame Geneviève Adélaïde-Félicité d’O [1716-1735] son épouse, demeurant rue de Tournon en leur hôtel. Le parain, très haut et très puissant seigneur Léon de Madaillan de Lesparre [1683-1750] comte de Lassay, la maraine très haute et très puissante dame Madame Marie-Angélique Fremin de Moras [1676-1763], duchesse de Villars-Brancas, épouse de très haut et très puissant seigneur Monseigneur Louis-Antoine de Brancas [1682-1760], duc de Villars, Pair de France, chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit. » [sic] (Paroisse Saint-Sulpice. Registre des baptêmes)


Armes de Louis-Antoine de Brancas et Marie-Angélique Frémyn de Moras.
Brancas, accolé de Moras, qui est : d'argent au chevron de gueules soutenant
deux perroquets affrontés de sinople, et accompagné en pointe d'un arbre du même.


Sa mère étant morte après avoir donné naissance à un second fils, le comte de Lauraguais fut élevé chez sa marraine, sa grand-mère paternelle, Marie-Angélique Frémyn de Moras, à Versailles. Aussi écrivit-il plus tard dans « Au lecteur », en tête de ses Lettres de L. B. Lauraguais à Madame *** (Paris, F. Buisson et Mongie, an X [1802], p. 7) : « Né à Versailles », ce qui a parfois induit en erreur certains historiens, et encore aujourd’hui « Wikipédia ».



Nommé « mestre-de-camp-lieutenant » du régiment Royal-Roussillon cavalerie, dès 1749, il se distingua dans les campagnes de la guerre de Sept Ans. Il épousa le 11 janvier 1755, Élisabeth-Pauline de Gand de Mérode de Montmorency (1737-1794), princesse d’Isenghien et de Masmines, comtesse de Middelbourg, qui lui donna deux filles. En 1763, la comtesse de Lauraguais forma contre son mari une demande de séparation, justifiée par ses aventures galantes. Il reconnaîtra plus tard trois enfants naturels qu’il avait eus de la cantatrice Sophie Arnould (1740-1802).

Doué d’un goût précoce pour l’étude des sciences, le comte de Lauraguais fut reçu à l’Académie des sciences en 1758, et renonça aux armes. Il entreprit en 1763 une campagne en faveur de l’inoculation, remède nouveau pour combattre la variole, dite « petite vérole ».




Ayant découvert un procédé nouveau de vitrification, il installa une fabrique de porcelaine dans l’hôtel de Lassay, qu’il possédait alors entre la rue de l’Université (VIIe) et la Seine, actuelle résidence du président de l'Assemblée nationale.





C’est au comte de Lauraguais qu’on doit en 1759 la suppression des banquettes sur la scène du théâtre de la Comédie française, que Voltaire avait demandée vainement : il l’obtint au prix de la somme considérable de 60.000 livres, prix des travaux nécessaires pour aménager la salle, afin d’y retrouver le nombre des places ainsi perdues.
Curieux de tout, il se serait livré à la dissection sur le cadavre de son cocher et aurait eu la prétention d’être l’accoucheur de son amie Sophie Arnould.
 C.
Grand anglomane, il se passionna pour les courses de chevaux et organisa, le 25 février 1766, dans la plaine des Sablons, au bois de Boulogne, la première course qu’on ait vue en France.
Sa fortune ne suffit bientôt plus à dépenses exorbitantes : il dut vendre son hôtel à Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, en 1768, et sa bibliothèque en 1770.
On rapporte qu’en voyant partir ses chers volumes, le comte de Lauraguais, auteur de Clitemnestre [sic] (Paris, Michel Lambert, 1761), s’écria, paraphrasant Antiochus dans Rodogune princesse des Parthes (Paris, Toussaint Quinet, 1647, acte III, scène 5) de Pierre Corneille : « Chacun [au lieu de « Elle »] fuit, mais en Parthe, en nous perçant le cœur. », vers qui a toujours été regardé comme un jeu d’esprit.




Ils furent tous vendus, la plupart portant ses armes « D’azur, au pal d’argent chargé de trois tours crénelées de gueules, accompagné de quatre pattes de lion, affrontées d’or, mouvantes des deux flancs de l’écu. », sur les plats ou sur un ex-libris avec les initiales « B C D L »




La vente eut lieu en une maison sise quai des Augustins, au coin de la rue Pavée [chez De Bure ?], du lundi 11 au samedi 23 juin 1770, en dix vacations. Elle rapporta 33.416 l. 15. Quatre bustes et deux grands vases antiques, de porphyre, furent également vendus, au cours de la vacation du mercredi 20 juin.


Christie's, New York, 22 et 23 mars 2005 : 1.680 $





Le Catalogue d’une collection de livres choisis, provenans du cabinet de M *** (Paris Guillaume De Bure, fils aîné, 1770, in-8, xvj-2-171-[1 bl.]-10-[4] p., 780 + 152 lots) présente une majorité de livres dans la catégorie « Belles-Lettres » (355 lots). La part des livres d’histoire (209 lots) est supérieure à celles des livres de théologie (123 lots), de sciences et arts (82 lots) et de jurisprudence (12 lots).



Armes de Louis de Brancas (1663-1739) et Louise-Diane-Françoise de Clermont-Gallerande.
Brancas, accolé de Clermont-Gallerande, qui est : d'azur, à trois chevrons d'or, celui du chef brisé.


5. Biblia Sacra Latina Vulgatae editionis. Moguntiaper Joannem Fust, & Petrum Schoyffher de Gernzheym, anno 1462, 2 vol. in-fol. M. R. [mar. rouge] Exemplar elegans impressum in membranis. 2.400 l. sur une estimation à 2.000.
136. Platonis Opera quae extant omnia, graece & latine, cum interpretatione & notis Joannis Serrani. Parisiis, Henricus Stephanus, 1578, 3 vol. in-fol. Ch. Mag. [Charta Magna] M. R. lavé, réglé. 424 l. 5 sur une estimation à 180.
139. Aristotelis opera omnia graece. Venetiis, in aedibus Aldi Manutii, 1497, 5 vol. in-fol. veau brun. Editio Primaria. = Theophrasti Eresti, Historia Plantarum, graece. Venetiis, in aedibus Aldi, 1497, in-fol., veau brun. 96 l. sur une estimation à 90.
141. Senecae utriusque Philosophi & Rhetoris, Opera omnia quae extant. Neapoli, Moravus, anno 1475, in-fol. C. M. M. R. Editio Primaria. 220 l. sur une estimation à 200.
183. Historia Naturale di Caio Plinio Secondo, traducta di lingua latina in fiorentina, per Christophoro Lantino. Venetiis, per Nicolaum Jenson, anno 1476, in-fol. Ch. M. M. R. 96 l. sur une estimation à 72.
188. Phytantoza Iconographia, sive conspectus aliquot millium plantarum, arborum, fruticum, &c. a Joanne Weinmanno collectarum ; vivis coloribus represent. per Barth. Seuterum, & explicat. a Joan. Georg. Dieterico. Ratisbona, 1737, 4 vol. in-fol. Ch. Magn. M. R. 630 l. sur une estimation à 600.
208. Roberti Valturii, de re Militari, libri XII. Veronae, per Joan. Nicolai Cyrurgie, Medici Filium, anno 1472, in-fol. M. R. Editio Primaria. 301 l. sur une estimation à 200.
210. Méthode & Invention nouvelle de dresser les Chevaux ; par Guillaume de Newcastle, Comte de Cavendish : ouvrage décoré de très-belles Figures gravées en taille-douce. Anvers, Van Meurs, 1658, in-fol. M. cit. [mar. citron] lavé, réglé. 173 l. sur une estimation à 160.
222. Fr. Joannis de Janua, summa quae vocatur Catholicon. Moguntiae, anno 1460, 2 vol. in-fol. M. R. Exemplar elegans. 234 l. sur une estimation à 200.
226. Marci Tullii Ciceronis Opera omnia, cum castigationibus Petri Victorii. Venetiis, in officina Lucae Antonii Juntae, 1537, 4 vol. in-fol. M. R. 280 l. sur une estimation à 240.
227. Marci Tullii Ciceronis Opera omnia. Lugd. Batav. ex officina Elzeviriana, 1541, 10 vol. in-12. Ch. Mag. velin. 193 l. sur une estimation à 150.
228. Marci Tullii Ciceronis Rhetoricorum Libri. Romae, per Vuendellinum de Vuila, anno 1474, in-fol. M. R. lavé, réglé. 96 l. 4 sur une estimation à 20.
229. Ciceronis Orationes. Venetiis, per Cristophorum Valdarfer, anno 1471, in-fol. M. violet. 91 l. sur une estimation à 40.
241. Homeri Ilias & Odyssaea, Batrachomyomachia & Hymni, graece, edente Demetrio Chalcondyla, &c. Florentiae, anno 1488, 2 vol. in-fol. M. R. Editio Primaria. 281 l. 19 sur une estimation à 250.
313. Les Œuvres de Maître Guillaume Coquillart, Official de Rheims. Paris, Ant. Bonnemere, 1532, in-8 M. R. 6 l. 1 sur une estimation à 3.
348. Œuvres de Nicolas Boileau Despreaux, avec des Eclaircissemens historiques donnés par lui-même, nouvelle édition, enrichie de figures gravées par Bernard Picart. Amsterdam, David Mortier, 1718, 2 vol. in-fol. M. R. 103 l. sur une estimation à 84.
351. Le Mystère de la Passion de Jésus-Christ, mis en ryme françoise & par Personnages ; par Jean Michel. Paris, Antoine Verard, 1499, in-fol. M. R. dentelle. 122 l. sur une estimation à 240.
363. Opere di Dante Alighieri. Mantuae, Magister Georgius & Magister Paulus Teutonici impresserunt anno 1472, in-fol. M. B. [mar. bleu] 66 l. sur une estimation à 240.
366. Opere di Francesco Petrarcha, cioe le Rime. Patavii, per Martinum de Septem Arboribus Prutenum, anno 1472, in-fol. M. B. lavé, réglé. 436 l. sur une estimation à 480.
407. Il Decamerone di M. Giovanni Bocaccio, nuovamente corretto, & con diligentia Stampato. In Firenze, Giunti, anno 1527, in-8 V. F. [veau fauve] Editio originalis. 400 l. sur une estimation à 550.
421. Les Amours Pastorales de Daphnis & Chloë, traduits du grec de Longus, en françois, par Jacques Amyot ; Ouvrage enrichi de figures gravées par Benoist Audran, d’après les Desseins de Monseigneur le Duc d’Orléans, Régent. Paris, 1718, in-8 M. R. 103 l. sur une estimation à 72.
439. Les Avantures de Télémaque, fils d’Ulysse ; par M. François de Salignac de la Mothe Fenelon, Archevêque-Duc de Cambray : édition enrichie de figures gravées par Bernard Picart, & autres habiles Maîtres. Amsterdam, Wetstein, 1734, in-fol. M. B. Première édition. 329 l. sur une estimation à 250.
502. Le Triomphe des neuf Preux. Abbeville, Pierre Gerard, 1487, in-fol. M. R. 68 l. 19 sur une estimation à 60.
508. Aurelii Theodosii Macrobii Opera. Venetiis, per Nicolaum Jenson Gallicum, anno 1472, in-fol.M. B. exemplar elegans. Editio Primaria. 340 l. sur une estimation à 200.
574. Claudii Ptolomaei Cosmographiae Libri octo, interprete Jacobo Angelo. Bononiae, Dominicus de Lapis, anno 1462, in-fol. M. R. Editio Primaria. 436 l. sur une estimation à 240.
578. Collectiones Peregrinationum in Indiam Orientalem & Indiam Occidentalem XXV partibus comprehensae, cum figures aeneis Fratrum de Bry, & Meriani. Francofurti ad Maenum, 1590, & annis sequentib. 10 vol. in-fol. M. B. 1.151 l. sur une estimation à 1.000.
598. Bartholomaei (Albizzi) de Pisis, liber Conformitatum vitae Beati Francisci ad vitam Jesu Christi. Mediolani, per Gotardum Ponticum, anno 1510, in-fol.M. R. Exemplar elegans. 401 l. sur une estimation à 400.
740. Dialogos de Medallas, inforiciones, y otras antiguedades, ex Bibliotheca Ant. Augustini. En Tarragona, por Felipe Mey, 1587, in-4 M. R. Exemplar elegans. 242 l. sur une estimation à 200.
748. Museum Florentinum, exibens insigniora vetustatis monumenta quae Florentiae adversantur. Florentiae, 1734, 10 vol. in-fol. Ch. Mag. M. R. lavé, réglé. Le tome X est en feuilles. 980 l. 1 sur une estimation à 750.
          


Aux armes de Louis de Brancas (1714-1773) et de sa seconde épouse, Diane-Adélaïde de Mailly.
D’azur, au pal d’argent chargé de trois tours crénelées de gueules, accompagné de quatre pattes de lion, affrontées d’or, mouvantes des deux flancs de l’écu, qui est de Brancas ; accolé d'or, à trois maillets de gueules, qui est de Mailly.


Le comte de Lauraguais devint duc de Brancas à la mort de son père, en 1773. Depuis 1726, le domaine de Lauraguais avait été « engagé » [distrait du domaine de la couronne par aliénation ou échange] au duc de Brancas moyennant 195.600 livres ; sur le conseil de Necker, le Roi estima en 1778 qu’il y avait lieu de faire rentrer cette terre dans le domaine royal : informé de cette résolution, le comte de Lauraguais s’insurgea contre la décision du Roi et fut alors exilé dans sa terre de Manicamp [Aisne].



Château de Manicamp vers 1835

 Tandis que son épouse était traduite devant le Tribunal révolutionnaire pour conspiration contre la République, condamnée à mort et exécutée le 6 février 1794, il échappa miraculeusement aux proscriptions révolutionnaires : enfermé à la Conciergerie, on l’oublia jusqu’aux journées des 9 et 10 thermidor an II [27-28 juillet 1794], qui entraînèrent la chute de Robespierre. Il vécut alors à Manicamp, pratiquement ruiné, consacrant ses loisirs à l’élevage des chevaux et des moutons, à la chimie, à la physique et à quelques publications.




En 1797, il vendit le château de Lassay (Mayenne), qui était passé autrefois des Madaillan aux Brancas. Lors du retour du Roi, il fut créé pair de France le 4 juin 1814. Accablé d’infirmités, il n’a pu prendre part aux délibérations de la Chambre, et ce fut par ce motif que le 10 décembre 1822, il obtint du Roi une ordonnance l’autorisant à transmettre sa pairie à son neveu Louis-Marie-Buffile de Brancas (1772-1852). Le comte de Lauraguais décéda à Paris, d’un accès de goutte, le 8 octobre 1824, et fut inhumé au cimetière du Père Lachaise [13e division].   

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