jeudi 14 février 2013

L’Être multiple qu’on nommait Padeloup

Pendant longtemps, on n’a rien su sur « Pasdeloup [sic] si connu que partout on renomme » (Mathurin Lesné. La Reliure, poème didactique en six chants. Paris, Lesné et Nepveu, 1820, p. 26). Si connu, que le journaliste Charles Robin, auteur de la Galerie des gens de lettres au xixe siècle le nomme « Dupandeloup » ! (Histoire illustrée de l’Exposition universelle. Paris, Furne, 1855, 1ère partie, p. 63). Si connu qu’on introduisait la lettre « s » dans son nom, certes très logique, mais toujours rejetée par la famille.


Ce furent les découvertes de Augustin Jal (1795-1873), historiographe et archiviste de la Marine, dans les registres des paroisses du quartier latin à Paris, sur la famille Padeloup, qui ont grandement contribué à faire connaître cette famille de relieurs et de libraires. Ces découvertes, heureusement publiées dans son Dictionnaire critique de biographie et d’histoire (Paris, Henri Plon, 1867, p. 930-932), sont d’autant plus précieuses qu’elles ont été faites aux Archives de l’état civil de Paris, détruites en 1871 :

« Fils de Michel [Padeloup] et de Françoise Baron, il [Antoine-Michel Padeloup] naquit le 22 décembre 1685 ; épousa,  avant 1712, Marguerite Renault, et eut de ce mariage un assez grand nombre d’enfants, dont un seul, Jean, vécut une vie d’homme.– Antoine-Michel Padeloup demeura successivement rue de la Parcheminerie, rue St-Jacques et rue de Cluny [ou place de la Sorbonne : la maison qu’il habitait, louée à la Sorbonne, faisait le coin de cette rue et de cette place, la porte d’entrée se trouvant rue de Cluny] ; il était établi dans cette dernière, lorsque, le 20 avril 1751, il épousa, âgé de 65 ans et 4 mois, Claude Perrot, qui n’avait que 19 ans et demi, et qui était née à Stainville, diocèse de Toul. (St-Benoît) L’acte dit Ant.-Michel “ Relieur du Roi ”. Il l’était depuis dix-huit ans. Son brevet est de l’année 1733 (Arch. de l’Emp., vol. E. 3419.) Je me crois fondé à penser que le Padeloup resté célèbre est celui qui eut, en 1733, le brevet de Relieur du Roi, dont je ne vois pas qu’aucun autre avant lui ait été honoré. En effet, Antoine-Michel put fort bien, âgé de 30 ans quand mourut Louis XIV, briller déjà sous la Régence à côté de son père, dont il fut certainement l’élève et pendant un temps l’ouvrier. A.-M. Padeloup eut de Claude Perrot plusieurs enfants (12 avril 1752, 13 oct. 1753, 13 août 1755, 9 janv. 1757, 9 janv. 1758, 27 mai 1759). Un d’eux, Jean-Antoine, fut tenu (1753) par “ Jean Padeloup, me relieur, son frère ” ; ce Jean était un fils du premier lit d’Ant.-Michel. Sans doute il continua les bonnes traditions de son père. Il était né le 3 août 1716. Ant.-Michel mourut “ âgé de 72 ans ”, dit l’acte de son inhumation, mais en réalité de 72 ans et neuf mois ou environ, le 8 sept. 1758. (St-Benoît) »


La famille doit donc son illustration à Antoine-Michel Padeloup, dit « le jeune », qui acquit une très grande réputation. Sa cousine germaine, Françoise Padeloup, épousa en 1714 le relieur Augustin Duseuil. C’est leur grand-père, Antoine Padeloup, reçu libraire en 1633, rue Saint-Jacques, qui fut à l’origine de la lignée : il épousa Françoise Cusson, sœur de Jean Cusson, « le plus habile relieur de son temps » selon La Caille. 


Son apprentissage se fit chez son père. Il devint relieur ordinaire du roi de Portugal, titre qu’il transmit à son fils Jean. Après le décès de Luc-Antoine Boyet, il reçut le brevet de relieur ordinaire du Roi le 23 août 1733. Il fut le relieur en titre de Louis XV et de la marquise de Pompadour, le relieur le plus recherché, par le comte d’Hoym, Bonnier de La Mosson, Baylenx de Poyanne, etc., et le plus copié par ses contemporains.


On peut juger à coup sûr son travail grâce aux étiquettes qu’il plaçait sur les volumes reliés chez lui, habitude qu’il fut un des premiers à suivre.


Office de la Semaine Sainte (Paris, 1728)
Aux armes de Marie Leszczynska

Il produisit deux types de reliures en particulier :
-          des reliures à belles et larges dentelles, décorées aux petits fers ou à la plaque : ces dernières, sur les ouvrages de très grand format, furent parfois exécutées par René Dubuisson.


Sacre de Louis XV (Paris, 1723)
Christie's, Paris, 2 juin 2005, 19.200 €

-          beaucoup de reliures mosaïquées, dites « à compartiments » : à motifs répétés (reliures dites « à répétition ») et, plus tardivement, à motifs floraux.  



Homélies ou Sermons de Saint Jean Chrysostome (Paris, 1689)
Christie's, Paris, 8 novembre 2004, 29.375 €







Heures nouvelles tirées de la Sainte Ecriture (Paris, v. 1730)


Antoine-Michel Padeloup mourut peu avant 5 heures du soir, le jeudi 7 septembre 1758, dans la maison de la rue de Cluny. D’après la déclaration de sa veuve, il aurait succombé à l’attaque d’un rhumatisme qui le faisait souffrir depuis longtemps. Le chiffre élevé des loyers réclamés par la Sorbonne et les autres réclamations de créanciers, dont celles des Dubuisson père et fils, suggèrent qu’il n’avait guère su profiter de sa vogue et de son titre de relieur du Roi.     

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